Drapeau des Îles Caïmans, principal paradis fiscal du Commonwealth britannique.

Cet article du 20 Février 2014, mis à jour le 23 Juin 2014, puis le 22 Juin 2015, puis le 7 Avril 2018, est fondamental pour la compréhension du projet de réforme fiscale que nous soutenons.

L’acte fondateur des paradis fiscaux fut voté par la Chambre des Communes britannique en 1929. 

Il créait le concept de la société offshore, c’est-à-dire de la société enregistrée dans un pays, mais dont les actionnaires n’étaient pas résidents de ce pays. Bien entendu l’intention n’était pas a priori d’éviter l’impôt, mais de prendre acte de ce que beaucoup d’entreprises et d’investisseurs créaient beaucoup plus de sociétés offshore ce qui – étrangement – se produisait suite à la création de l’Impôt sur le Revenu. L’excuse officielle était de simplifier la gestion d’une même entreprise ayant des intérêts multinationaux. Cependant, sans cette liberté nouvelle de créer une société « offshore » (dans un autre pays), le paradis fiscal n’existerait pas. La notion même en était inconnue avant 1929. Rappelons que l’Impôt sur le Revenu existe en France depuis 1914, et dans la plupart des pays développés depuis le début du 20esiècle. 

On peut donc affirmer que, avant la création de l’impôt sur le Revenu, la notion même de paradis fiscal n’existait pas.

La société opérant dans un paradis fiscal (SPF) permet à ses actionnaires d’éviter l’impôt sur le revenu dû par une autre société dans leur pays d’origine, parce qu’elle peut acheter et revendre pour le compte de ces actionnaires, en faisant apparaître le profit global là où il ne sera pas ou peu taxé, c’est-à-dire dans ce paradis fiscal… ou dans un autre. 

Le profit ainsi réalisé par la SPF peut à son tour être réinvesti dans d’autres entreprises, sociétés, trusts et fonds divers d’investissements, sous la direction de ses actionnaires. De tels montages sont le rôle des Offshore Financial Centres(OFC) ou centres financiers d’outremer,dont le rôle et le poids politique grandissent chaque année.

Je cite ici Richard Murphy, expert britannique reconnu, auteur du rapport du Tax Justice Network à la Chambre des Communes de Juin 2008 :


Les paradis fiscaux sont des lieux ou se créent des lois et règlements destinés à assister des personnes physiques ou morales leur permettant d’éviter les obligations fiscales qui leur incombent dans les lieux ou ils entreprennent leurs transactions économiques véritables.

Cela n’est pas par accident ou hasard; notre rapport apporte les preuves claires que ces lieux, qui sont souvent des états souverains mais ont toujours le pouvoir de légiférer, ont été organisés dans l’intention expresse d’empêcher l’impact des lois et règlements imposés dans d’autres pays ou lieux. 

Il s’agit la donc d’actes d’agression économique délibérée, commis aux dépends d’autres états souverains.

(Je prie le lecteur de noter ici que l’auteur de ces lignes est britannique, économiste, expert comptable, membre actif du Tax Justice Network, un ancien de la firme KPMG, et un expert reconnu auprès de la Chambre des Communes, de la Direction du Trésor du Royaume Uni et des média de ce pays. Ce n’est donc pas un écolo fanatisé, ou un Bolcheviste le couteau entre les dents)

L’intention malicieuse (malicious intent) apparaît donc au départ même de la création de la SPF dès l’instant où ses actionnaires officiels (enregistrés dans les actes d’enregistrements) ne sont pas les vrais propriétaires, mais des personnes ou sociétés prête-noms. L’intention malicieuse apparaît aussi dès la création des centres financiers offshores, dits OFC.Richard Murphy les désigne comme les principaux coupables, car ils conseillent à la fois les gouvernements des paradis fiscaux, les entreprises et investisseurs qui veulent en profiter, et les spéculateurs qui parient « pour » ou « contre » à court terme.

Mais la spoliation (du fait d’avoir évité l’impôt) est finement diluée à travers une myriade de transactions chaque fois qu’une marchandise change de mains, que des dividendes sont distribués, ou bien des honoraires ou commissions sont payés, provoquant alors une facture et des écritures comptables dans les deux ou trois sociétés impliquées. Chaque fraude peut porter sur des paiements faibles ou plus importants, mais toujours fréquents et nombreux. La SPF permet que les identités des acteurs véritables soient imprécises, erronées,et précaires,donc au total extrêmement coûteuses à reconstituerlors d’un audit fiscal.  

Imprécises : Les noms, adresses des SPF et de leurs responsables sociaux, l’objet et les statuts légaux sont intentionnellement vagues. L’Anonymat est souvent protégé par les lois du paradis fiscal (exemple historique de la Suisse et de son secret bancaire.)

Erronées :On ne sait pas quels intérêts sont vraiment présents dans la transaction parce qu’il y a tromperiequant aux réelles identités de ces intérêts, et à leur nature.

Précaires :Les noms, identités, adresses, peuvent changer, et la société peut disparaître.

Coûteuses à reconstituer : Il serait impossible de réussir à connaitre les vraies identités et les vraies natures qui sont en cause derrière la moindre transaction. En outre, il faudrait pour y arriver complètement abolir la notion même de libre entreprise, de libre échange et de liberté du commerce. Et ceci se complique parce que le contrôleur du fisc, devant ainsi chercher une aiguille dans une botte de foin mondiale, sait que de toute façon il y aura prescription du délit de fraude dans 3 ou 5 ans (suivant les pays), parce que c’est cette prescription qui s’applique au délit de fraude sur l’Impôt sur le Revenu. Notre contrôleur doit doit se concentrer sur le gros poisson mais c’est précisément celui qui a les moyens de se cacher le mieux… Dans ce marais planétaire de tous les actes de nature commerciale, les auditeurs fiscaux ne peuvent qu’espérer d’avoir la chance de l’identifier. Et ce gros poisson une fois pris n’indique pas grand-chose sur les situations patrimoniales des bénéficiaires finaux. Donc, les avocats aidant, leur sanction est souvent négociée entre le fisc et l’entreprise qui porte le « chapeau ». 

Et il y a plus : un de ces gros poissons (pensez par exemple à l’obtention d’un marché public considérable) peut avoir indirectement une conséquence sur le cours d’une action d’une société actrice, dont il est impossible de mesurer les conséquences sans un audit encore plus complexe (voyez par exemple la série de procès débutant en 2008 entre d’un coté divers membres de la famille Porsche qui gèrent les sociétés Volkswagen et Porsche, et de l’autre coté un syndicat de hedge funds autour du fonds américain Elliott Associates).

Avec le Projet IPP, tout impôt sur le revenu va être aboli par étapes étalées sur dix ans. 

Cela n’aura plus aucun intérêt de vouloir frauder ces impôts, donc de vouloir en effectuer les audits.

Car au lieu de taxer ces myriades de transactions commerciales et financières, la Taxe sur l’Actif Net va :

  1. Être payée seulement une fois par an et par patrimoine personnalisé.
  2. Être payée seulement par les personnes physiquesqui détiennent ces patrimoines. Les sociétés et autres entités à vocation commerciale ne payeront plus d’impôt sur le revenu (IS et impôts assimilés, comme la taxe sur les salaires), et ne payeront pas d’impôt sur leur actif net puisque ce dernier appartient à leurs actionnaires personnes physiques, qui seuls payeront cette TAN.
  3. Être payée par des individus clairement identifiés, dont l’identité est permanente,et non pas par des entités précaires, anonymes et souvent clandestines. Et l’identification précise d’un individu est devenue beaucoup plus facile, rapide et moins coûteuse, grâce à la révolution numérique.
  4. Permettre de« criminaliser » le cas de la personne physique qui ne déclare pas un actifqu’elle possède, que cet actif soit en France, sur la planète, ou même sur la Lune. Car ce simple acte de non-déclaration en soi pourra être jugé comme un acte criminel dont l’intention est malicieuse et dont l’exécution a été organisée à l’ avance, dont la punition pourra être d’une sévérité extrême: Le fraudeur risque d’être ruiné, endetté à vie, et en taule. En outre, comme la fraude dans une déclaration sera visible dans le bilan même du fraudeur, cela n’aura plus de sens d’invoquer la prescription : Une fois qu’une opération de bilan de l’an dernier aura mis en évidence la fraude (par exemple quand un actif sous-évalué ou non déclaré aura été vendu, donc converti en numéraire à l’actif), la punition en sera entièrement rétroactive.L’actif non déclaré devient avec le temps une épée de Damoclès de plus en plus lourde.
  5. Permettre, au contraire, de reconnaître et récompenser la contribution à la société qu’apportent les détenteurs de patrimoines qui entreprennent et investissent tout en jouant le jeu du civisme, de la transparence et de l’honnêteté. Être riche ne sera plus désobligeant ou même insultant. Etre riche et un bon citoyen ensemble deviendra estimable. Mais tricher avec le fisc pourra devenir carrément un acte criminel.

L’abolition des droits de succession va encore décourager de telles fraudes : C’est tous les actifs au bilan qui devront être transmis à l’héritier, qui saura qu’il hériterait donc à son tour d’une situation frauduleuse, dont la sanction future serait d’autant plus chère que cette situation aurait été découverte plus tard.

Il y a plus encore: le résident français qui est un grand fraudeur parce qu’il est actionnaire d’une société écran dans un paradis fiscal, laquelle a elle-même des investissements, voire des filiales, a donc des associés (autres actionnaires…) et des professionnels (banques, auditeurs, administrateurs de sociétés, etc.) qui sauront tôt ou tard que notre fraudeur risque à tout moment, sans limite dans le temps, une condamnation de plus en plus sévère en France. Cette dette, et cette pénalité potentielle, devront donc forcément constituer à leurs yeux un engagement hors bilan(undisclosed liability) qui réduit de plus en plus la crédibilité et le goodwillde notre fraudeur. 

On peut donc envisager, au delà de la disparition progressive des paradis fiscaux, un assainissement général des mœurs fiscales.

Pour en savoir plus voir le rapport de Richard Murphy (Tax Justice Network, en anglais)

Appendices :

En France, on peut aller en prison pour fraude fiscale… mais c’est de plus en plus rare. Le nombre de peines d’emprisonnement pour fraude à l’impôt aurait même plutôt tendance à diminuer depuis 2004 à en croire les données publiées sur le site du ministère de la Justice. Celles-ci oscillaient autour de 800 entre 2004 et 2009, en ayant atteint un pic à 954 en 2006, contre 698 en 2010.

L’évaluation des montants est délicate et dépend fortement des hypothèses de l’évaluateur. Le magazine « L’Économie politique » détaille les montants d’impôts non payés du fait des paradis fiscaux pour quelques pays :

  • les services fiscaux des États-Unis pensent qu’il manque de l’ordre de 330 milliards de dollars par an, soit 16 % des impôts fédéraux et 2 % du PIB.
  • En France, l’État perd entre 60 et 80 milliards d’euros par an, soit en gros 3 % du PIB.
  • En Grande-Bretagne, selon les calculs de Richard Murphy, l’évasion annuelle serait d’environ 97 milliards de livres – 16,6 % des recettes fiscales ou 6 % du PIB.
  • L’Union européenne estime que le manque à gagner pour l’ensemble des pays de l’Union est de 2 à 2,5 % du PIB.
  • La Serbie est le premier pays au monde en termes d’évasion fiscale si l’on tient compte du ratio population/évasion.

Moyens d’évasion fiscale

  • Conservation de l’argent hors du circuit bancaire, en espèces.
  • L’or en lingots, ne laissant pas de trace de transaction.
  • Changer de nationalité en prenant celle d’un pays fiscalement attrayant comme le Canada, Belize, Malte, Andorre, Saint-Christophe-et-Niévès…
  • L’assurance-vie, les comptes bancaires et les investissements étant détenus au nom de la compagnie d’assurance, ce qui libère le contractant de l’obligation de déclarer le compte, tout en lui permettant de contrôler les actifs et les placements.
  • Le compte bancaire en Suisse, désormais moins attrayant depuis que ce pays s’est aligné sur les standards de l’OCDE. Les banques en Suisse appliquant la règle de connaître l’ayant droit économique final.
  • Le compte bancaire dans un pays ou l’obligation pour une banque de connaître l’ayant droit économique final n’existe pas, permettant ainsi à un avocat de servir de prête-nom pour un client via une société offshore.
  • La fiducie (trust) fonctionne selon le principe du paravent, via un don d’un constituant (settlor) qui se défait de sa fortune au profit de mandataire (trustee) qui la gère pour les bénéficiaires, par exemple des organismes de charité. Tout le travail des conseillers qui font ce montage consiste à compliquer et à opacifier le schéma pour qu’au final le mandataire ne soit plus qu’un prête-nom et le constituant le véritable ayant droit.
  • La société au Delaware (USA): anonymat garanti et aucun impôts pour les activités hors USA.
 
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Auteur/autrice

  • André Teissier du Cros - AEQUITAE

    Ingénieur-Docteur SupMéca (1958-63). Depuis 1972 dirige un cabinet de stratégie de l’entreprise et dirigeant intérimaire de 3 entreprises aux USA et au Canada. Acteur de soixante rapprochements d’entreprises entre l’Amérique du Nord, l’Europe, le Japon, la Chine, l’Inde, le Moyen-Orient… ; Journaliste économique (1965-71). Ouvrages : Le Courage de Diriger (Robert Laffont, 1969), L’Innovation (Robert Laffont, 1971), Recherche d’Activités et Produits nouveaux (Prix IAE du Management, 1977) ; L’Innovation Malade de l’Impôt (Eyrolles-Ed. d’Organisation, 1980); traducteur-éditeur de The Fifth Rung on Jacob’s Ladder, (Jacques Caubet, Xulon Press, USA 2004). La France, le Bébé et l’Eau du Bain (L’Harmattan 2010). La Taxe sur l’Actif Net ou Impôt Progressif sur le Patrimoine Dormant (L’Harmattan 2016) et nombreux articles et conférences ; Rapporteur du comité ‘Innovation industrielle’ dans la Commission CNPF pour le Développement Industriel, présidée par François Dalle, (1979-81), dont le rapport avait été demandé par Raymond Barre, alors Premier Ministre ; Rapporteur, Commission Nationale pour l’Innovation nommée par G. Pompidou (Commission Barthalon, 1967-71) ; Président (1988-2001) d’une section USA des Conseillers du Commerce Extérieur de la France ; Président Commission Marketing, puis Président, de l’Alliance Française d’Atlanta (2004-2009) ; Président-fondateur du Comité Bastille en 2006 ; Enseignant Georgia Institute of Technology Evaluation Compétitivité Stratégique des Industries Manufacturières (1994-2001) ; Pilote privé FAA (ASEL-IFR) ; Membre (fauteuil 26) de l’Académie des Hauts Cantons

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