L’impôt sur le Patrimoine vient de faire son entrée par la grande porte aux Etats Unis, porté par deux candidats du Parti Démocrate ambitionnant d’être son candidat officiel à la Présidence des Etats Unis en 2022 : Bernie Sanders, Sénateur du Vermont soutenu par Alexandria Octavio Cortez, la spectaculaire députée représentante d’un District de New York ; et Elizabeth Warren, Sénateur du Massachusetts. Ces deux candidats ont dans leur programme la grande entrée de l’Impôt sur la fortune, c’est-à-dire sur le Patrimoine. En soi, c’est une grande nouvelle pour le Comité Bastille, et pour moi personnellement parce que, ayant la citoyenneté américaine et ayant vécu 26 ans en Amérique, je vote également des deux côtés de l’Atlantique… Je sais d’avance que je vais voter pour l’un d’eux s’il arrive à la nomination, avec pour le moment une préférence pour Elizabeth Warren.

Les deux sont conseillés par Gabriel Zucman et Emmanuel Saez, ce dernier étant directeur du Center for Equitable Growth de Berkeley. Ce sont deux économistes français qui enseignent à Berkeley University en Californie. Ils sont des anciens étudiants de Thomas Piketty, lequel soutient leurs analyses et leurs projets. Ils viennent de publier le 15 Octobre un livre dont la portée sera mondiale : The Triumph of Injustice (W. W. Norton & Company, 288 pages). L’ouvrage paraîtra en France en février, aux éditions du Seuil, sous le titre Le Triomphe de l’injustice. Richesse, évasion fiscale et démocratie. .

Cette nouvelle pourrait donner à penser que notre projet d’Impôt sur le Patrimoine Passif (IPP/TAN) serait enfin mondialement reconnu. Ce n’est pas encore le cas, bien que les analyses soient parallèles et que nous soyons d’accord sur le fonds.

Leur projet n’abolit pas du tout l’Impôt sur le Revenu. Il se contente de taxer les super-riches, ce que nous faisons aussi, mais voyez où est la différence.

Zucman et Saez sont parfaitement conscients du fléau que représentent les paradis fiscaux et la fameuse Toile d’Araignée du Tax Justice Network.

Mais ils ne veulent pas abolir l’impôt sur le revenu, bien que Zucman ait cependant lancé le 26 Septembre un tweet disant expressément :

« Rich people evade the income tax, therefore the income tax is a bad idea and we should abolish it. »

Ce qui est bien ce que dit le Comité Bastille, et nous ajoutons que les paradis fiscaux ont pris leur essor depuis 1929, date ou la Chambre des Communes a créé le statut des sociétés offshore, légalisant la firme dont les actionnaires sont « ailleurs » ; date suivant de 15 à 20 ans celle de la création de l’impôt sur le revenu dans les principales économies mondiales.

Mais Il ne s’agit encore que d’une opinion lancée sur Twitter… Elle n’est pas allée jusqu’à affecter les programmes politiques qu’il conseille. Et il en est de même pour nos amis du Tax Justice Network. Pourquoi ?

Ici je donne mon avis, espérant que l’un d’eux prendra le temps de me corriger :

Aux USA, l’impôt sur le revenu est payé à deux niveaux : Celui de l’État local (Ex : Le New Hampshire ou la Californie) et celui de l’État fédéral (Washington). Et il y a 50 Etats, plus Washington. En se contentant de créer un nouvel impôt fédéral, la Wealth Tax, nos amis évitent de rouvrir le débat épineux sur le partage des ressources fiscales. Je crois que c’est pour la même raison qu’aucune réforme n’a jamais proposé d’instaurer une TVA en Amerique car elle remplacerait toutes les Sales Tax qui, elles, sont locales et varient d’un État à l’autre, constituant un des derniers privilèges de chaque Etat face au monstre tentaculaire que représente Washington. Souvenons-nous que la peine de mort n’est pas abolie dans tous les Etats, loin de là, et que rien que la question du droit à l’avortement – le fameux Cas Roe versus Wade, jurisprudence qui a tant bien que mal force de loi, faute de loi fédérale et claire – n’a pu être rediscutée tant les États sont d’opinions différentes sur ce sujet ultrasensible. Toute réforme fiscale, si saine soit-elle, sera contestée par les États à partir du moment où c’est Washington qui la propose. L’avantage du projet Zucman est que on ne fait que créer une taxe nouvelle, qui ne sera que fédérale… Il est facile de la faire passer comme une simple taxe de ces cochons de libéraux démocrates (en Amerique liberal veut dire socialiste, qualificatif qui a pour synonymes : communiste, soviétique, français, européen, hérétique ou païen…) qui passera quand les démocrates domineront de nouveau le Congrès…)

En outre, en ne taxant que les super-riches, on ne change rien au niveau de l’immense masse des classes moyennes, sauf à démontrer que leurs impôts à eux pourront être en partie soulagés par l’appoint de la Wealth Tax qui est considérable.

Nos Français de Californie prennent un exemple : La société Wal-Mart a un Président qui gagne 22 millions de dollars par an. Ce qui semble fabuleux… Mais il n’est qu’un salarié. Le fondateur de Wal-Mart s’appelle Sam Walton. Il est décédé, mais ses trois enfants disposent chacun d’une fortune de l’ordre de 45 milliards de dollars, et ne payent d’impôts que sur leurs cent mille dollars de salaires, sur leurs dividendes qu’ils maintiennent à un niveau modéré,  et sur le produit des ventes de leurs actions. Ils figurent parmi les vingt personnes les plus riches du monde, et sont formidablement favorisés. Et l’accroissement de telles inégalités s’aggrave chaque année quelle que soit la santé de l’économie. Le problème est structurel. Il met en question la dignité humaine et plus concrètement le bon fonctionnement de la démocratie.

Le Comité Bastille propose d’abolir l’Impôt sur le Revenu et aussi les droits de succession et la taxe foncière, et de les remplacer par un impôt sur le patrimoine progressant de 1,2% dès 50 000 euros de patrimoine jusqu’à 3% à partir de cent millions. Ce qui est proche de la fiscalité suisse. La Suisse, rappelons-le, ne pratique comme impôt sur le revenu qu’un impôt fédéral de 8% plus un impôt cantonal mais qui varie largement suivant les cantons.

Le projet Warren, lui, ne touche pas ou peu à l’impôt sur le revenu, mais taxe la fortune de 2% seulement à partir de 50 millions, et 3% pour le patrimoine au-delà d’un milliard.

Nous proposons que le chiffre du patrimoine soit établi par le contribuable lui-même, choisissant les conseils que lui juge utile, et que le fisc lui fasse confiance, le contrôle de son patrimoine étant fait simplement en réconciliant son bilan de cette année avec le bilan des années précédentes. Mais nous punissons très sévèrement celui qui a triché (et les professionnels qui l’ont conseillé), ce qu’on pourra toujours constater tôt ou tard, les polyvalents ayant tout le temps du monde pour enquêter aux Caïmans, à Singapour comme à Londres. Car la fraude sur le revenu ne peut se constater que sur une année précise avant la fameuse durée de prescription, ce qui n’est plus nécessaire avec une déclaration de fortune où la même fraude est répétée tous les ans, donc est facile à criminaliser.

Le Projet Warren impose que le fisc vérifie la déclaration de fortune a priori, ouvrant la porte à toutes les disputes interminables possibles.

Thomas Piketty va beaucoup plus loin : Il propose de remettre en question le concept même de droit de propriété et de pratiquer un impôt confiscatoire (tel que 90%) sur ce qui serait considéré comme un excès de fortune. Ce qui dans une optique planétaire á l’échelle des siècles, et des cataclysmes naturels qui commencent, pourrait avoir un sens… Mais cela ouvre un débat d’une toute autre échelle. Ni le Projet Warren ni le Projet IPP/TAN ne vont jusque-là.

Dans le cas du Royaume Uni, où siège le Tax Justice Network, l’abolition de l’impôt sur le revenu pose un problème de plus : C’est cet impôt qui finance le National Health Service (NHS), assurance santé comparable à la caisse d’assurance maladie de notre Sécu et qui, étant financée directement par le biais de l’Income tax, est gratuite. Abolir cet impôt imposerait de mettre en place une contribution séparée au NHS. En ce moment, ce problème n’est pas le plus immédiatement urgent auquel nos amis d’outre-Manche soient confrontés…

André Teissier du Cros

Président honoraire.

Auteur/autrice

  • André Teissier du Cros

    Président honoraire et fondateur du Comité Bastille ; Ingénieur-Docteur SupMéca (1958-63). Depuis 1972 dirige un cabinet de stratégie de l’entreprise et dirigeant intérimaire de 3 entreprises aux USA et au Canada. Acteur de soixante rapprochements d’entreprises entre l’Amérique du Nord, l’Europe, le Japon, la Chine, l’Inde, le Moyen-Orient… ; Journaliste économique (1965-71). Ouvrages : Le Courage de Diriger (Robert Laffont, 1969), L’Innovation (Robert Laffont, 1971), Recherche d’Activités et Produits nouveaux (Prix IAE du Management, 1977) ; L’Innovation Malade de l’Impôt (Eyrolles-Ed. d’Organisation, 1980); traducteur-éditeur de The Fifth Rung on Jacob’s Ladder, (Jacques Caubet, Xulon Press, USA 2004). La France, le Bébé et l’Eau du Bain (L’Harmattan 2010). La Taxe sur l’Actif Net ou Impôt Progressif sur le Patrimoine Dormant (L’Harmattan 2016) et nombreux articles et conférences ; Rapporteur du comité ‘Innovation industrielle’ dans la Commission CNPF pour le Développement Industriel, présidée par François Dalle, (1979-81), dont le rapport avait été demandé par Raymond Barre, alors Premier Ministre ; Rapporteur, Commission Nationale pour l’Innovation nommée par G. Pompidou (Commission Barthalon, 1967-71) ; Président (1988-2001) d’une section USA des Conseillers du Commerce Extérieur de la France ; Président Commission Marketing, puis Président, de l’Alliance Française d’Atlanta (2004-2009) ; Président-fondateur du Comité Bastille en 2006 ; Enseignant Georgia Institute of Technology Evaluation Compétitivité Stratégique des Industries Manufacturières (1994-2001) ; Pilote privé FAA (ASEL-IFR) ; Membre (fauteuil 26) de l’Académie des Hauts Cantons

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