Ce programme est largement fondé sur dix ans de travaux de l’Institut Montaigne, groupe de réflexion réputé d’inspiration patronale et libérale, travaux qui se sont concentrés sur une réforme de l’assurance maladie. J’ai lu les documents résumant ces travaux, accessibles ici.
Ce programme rassemble beaucoup de bonnes suggestions qui relèvent de l’amélioration régulière de la gestion d’une institution assimilée – avec raison – à une immense compagnie d’assurances.
Il me semble qu’il contient aussi des propositions remettant complètement en question l’esprit même dans lequel la Sécu est née en 1945, celui du Conseil National de la Résistance, à savoir que chaque citoyen français paye pour que chaque citoyen français sache qu’il ne pourra plus jamais être laissé pour compte, l’Etat lui-même, c’est-à-dire le citoyen contribuable, étant la garantie souveraine de cet engagement fondamental. Mais le débat est ouvert.
Pour autant…
…l’Institut Montaigne reconnait que notre Sécu a été un grand succès, grâce auquel l’espérance de vie des Français se situe au tout premier rang dans le monde avec Japon, Espagne, Italie, Suisse, pays scandinaves…, dépassant maintenant d’environ quatre ans celle des Américains (États-Unis)[i] et de près de deux ans celle des Britanniques.
Pour l’étudier, je me suis uniquement fondé sur les statistiques de l’OCDE comme les auteurs du rapport.
Avons-nous progressé ? Oui, de presque deux ans entre 2004 et 2014. Certains pays qui étaient nettement derrière nous il y a dix ans (Israël et Irlande par exemple) nous ont rattrapés, ce qui est une évolution normale. En 1945 quand notre Sécu est née, l’espérance de vie américaine était de 65 ans, tandis que la nôtre avait chuté de 55 ans en 1937 à 50 ans pendant la guerre pour vite remonter vers 60 ans en 1945-50.
L’Amérique, alors de très loin le pays le plus riche et développé de la planète[ii], était donc nettement en avance sur nous et sur le monde. Notre Sécu nous a permis de la rattraper puis de nettement la dépasser. La courbe de notre espérance de vie depuis 1740 (voir graphique) montre bien que, depuis 1945, son taux d’accroissement a augmenté. Notre poussiéreuse et bureaucratique Sécu mérite donc le respect.
Cependant, dit l’Institut Montaigne, notre vénérable assurance santé a besoin d’être sauvée car elle est en grand danger. Il veut dire par là qu’elle nous coute de plus en plus cher et que son financement devient de plus en plus problématique, ce qui est rigoureusement exact mais n’est pas du tout unique à la France.[iii] Nous sommes en 2009 au deuxième rang mondial pour la part des dépenses santé dans le PIB – 11% – loin derrière les 16% des Etats Unis. Pourquoi par rapport au PIB alors que les dépenses par tête seraient beaucoup plus rationnelles ?[iv] Parce que le PIB est le Dieu de la financiarisation et nous allons voir que l’Institut Montaigne vénère ce Dieu avec une loyauté irréprochable.
Maintenant complétons son étude dans une tout autre direction et regardons l’état de santé non pas des personnes physiques, mais des compagnies d’assurance elles-mêmes.
Toujours grâce à l’OCDE penchons-nous sur son rapport Global Insurance Market Trends 2015. Rappelons que l’assurance santé et l’assurance-vie sont les très gros marchés de l’assurance.
Nous apprenons que :
- La rentabilité de l’investissement (ROI) dans l’industrie mondiale de l’assurance est en augmentation, la performance financière globale continuant à se consolider. A priori ce n’est pas choquant : l’assurance assure des biens, des équipements et des personnes, le tout constituant le patrimoine mondial, et celui-ci augmente avec la population et le niveau de vie, tandis que les services proposés par l’assurance se perfectionnent, entrainant une augmentation des couts de gestion. Ceci étant plus vrai dans les pays en voie de développement.
- La croissance des recettes brutes (gross premiums) est très solide chez les pays membres de l’OCDE : Etats Unis, Japon, Europe, Australie… et le dit ROI varie d’un pays à l’autre. Il est en France (chiffres 2012-14) de l’ordre de 7% ainsi qu’en Allemagne, alors qu’il est d’environ 9% dans le Royaume Uni et d’au moins 11% aux Etats Unis. Les services de même nature sont donc plus ou moins lucratifs suivant les pays.
Nous découvrons donc que si vous êtes une compagnie d’assurances bien gérée, suivant attentivement les opportunités de marchés prospères à imiter ou bien où aller investir, soucieuse comme toute entreprise de l’intérêt de vos actionnaires d’abord, vous investirez hors de France ; vos marchés en Grande Bretagne et aux Etats Unis (et en Australie…) seront plus attractifs ; et vos concurrents dans ces pays seront donc ceux dont il faut s’inspirer en France. Et justement c’est dans ces deux pays, où l’on vit nettement moins vieux, que l’Institut Montaigne cite les exemples de politiques à imiter !
Et pourtant il existe des pays où l’assurance se porte mieux que dans les pays anglo-saxons, et où l’espérance de vie est aussi élevée ou un peu plus qu’en France. Citons pêle-mêle l’Espagne, l’Irlande, l’Italie, le Japon, la Suisse. Si j’avais dirigé l’étude de l’Institut Montaigne j’aurais proposé de mener mon benchmarking en prenant deux d’entre eux. Mais ici ouvrons une parenthèse : Pour l’Institut Montaigne, porteur traditionnel en France de la pensée néo-libérale dont les sources, les Bibles, les prophètes et les martyrs sont anglo-saxons porte-paroles de la financiarisation, la langue officielle est l’anglais tel qu’exprimé dans la langue de l’économie orthodoxe. Ses expressions officielles sont le PIB, l’EBITDA[v], le ROI et les GAAP (Generally Accepted Accounting Principles). La routine traditionnelle exige que ce qui ne marche pas en France (même quand ça marche) résulte de l’exception française, de cette foi obstinée et obtuse que sentent les Français dans le service public financé directement par les assujettis sous la garantie souveraine de l’Etat-providence, loin des marchés boursiers, hors d’atteinte de la bienveillante Main Invisible du Marché, absente dans le moindre paradis fiscal. Admettons, mais tournons-nous vers un exemple voisin : L’Allemagne.
La Sécu allemande, la Sozialversicherung Deutschlands, a des performances (espérance de vie, qualité des services) très proches de notre Sécu et son cout est un peu supérieur (et comme partout ce cout est aussi en train d’exploser, voir note ii.) Et tenez-vous bien : Cette assurance universelle est gérée par trois compagnies d’assurances privées (entendez par là cotées en bourse comme partout) ! Pourquoi diable nos papes de la privatisation n’ont-ils pas considéré notre voisin si facile à observer ?
Parce que les assurances allemandes n’ont pas le droit de financer le risque encouru. Elles ne sont que prestataires du service. Le risque lui-même est garanti par l’Etat, c’est-à-dire par la République Fédérale, c’est-à-dire par tous les contribuables allemands. Leur rémunération est fondée sur le seul cout de la gestion et exécution du service. Comme elles sont trois sociétés qui se concurrencent, les dépenses allemandes de santé par tête sont naturellement plus élevées (4e rang mondial) que les françaises (13e rang). Cela veut dire quoi sans utiliser un jargon économico-juridico-financier?
Le coté diabolique du métier de l’assureur, c’est qu’en fait l’accident dont il doit protéger ses clients-adhérents est très difficile, très compliqué, et même parfois totalement incertain donc impossible à évaluer à l’avance. En théorie, on pourrait dire que l’assureur risque sa chemise sur chaque contrat. Une vieille bagnole valant mille euros à l’Argus, conduite par un modeste retraité, peut, par une malchance extraordinaire, causer sur un passage à niveau l’explosion d’un train chargé d’hydrocarbures, qui incendie une zone industrielle et des habitations en laissant de nombreuses victimes. Le contrat est en règle : L’assurance doit payer.
Le risque étant incertain, l’ancienne sagesse de cette industrie a été de multiplier le nombre de souscripteurs. Ainsi la catastrophe absolument imprévisible coutant dix millions, répartie entre dix millions de souscripteurs, coute un euro par tête à ajouter aux primes. Plus il y a de souscripteurs, moins chacun a à payer. C’est logique. C’est en suivant cette loi que le Lloyds britannique, ayant comme marché un immense empire, en vint à assurer le monde entier au XIXe siècle. C’est en suivant cette loi que la Sécu reste compétitive grâce à 65 millions de Français malgré sa gestion bureaucratiquement poussiéreuse ; que Berkshire Hathaway (US) est devenue, en capitalisation, la 1e compagnie d’assurance dans le monde, et qu’AXA est devenue la 7e.
L’Institut Montaigne, lui, croit aux bienfaits de la concurrence et de la privatisation.
Il est temps de préciser que cet institut fut fondé en 2000 par les dirigeants d’AXA. Le conseil d’administration qui ne vient pas de l’assurance ou du monde de la recherche en économie politique représente la banque (BPCE, Bank of America, Banque Postale), la gestion de fortune (PAI Partners), le conseil juridique aux entreprises, la publicité (Ogilvy One, spécialiste mondial de la valorisation de l’image et des marques), l’évaluation financière (Ricol Lasteyrie)… l’industrie proprement dite étant représentée par Michelin et Airbus, qui doivent se sentir bien seuls dans ce Gotha du monde financier international. Sans être un expert, il est facile d’imaginer que si la Sécu était plus ou moins privatisée, le marché français de l’assurance et des services financiers associés connaitrait une formidable croissance. Il me semble donc assez clair que si un parti politique, Les Républicains ici, chargeait l’Institut Montaigne de concevoir une réforme du type privatisation de la Sécu, il y aurait là un conflit d’intérêt de taille océanique. Bien sûr on pourra m’accuser de procès d’intention. Mais je constate déjà que les a priori du projet proposé par cet institut, favorisant un modèle anglo-saxon qui est manifestement meilleur pour la santé des assureurs que pour celle des citoyens américains et britanniques, pourrait constituer une circumstancial evidence, une preuve indirecte par arguments circonstanciels, de ce que l’Institut Montaigne favoriserait l’intérêt de l’assureur plutôt que l’intérêt de l’assuré, surtout si cet assureur applique les pratiques anglo-saxonnes du soi-disant libéralisme.[vi]
Mais quand même réservons notre jugement et poussons jusqu’aux ressources que l’Institut Montaigne propose pour combler le déficit de la Sécu, et pour l’éliminer. Car de toute façon, quel que soit le parti au pouvoir en 2017, il va bien falloir assainir les comptes de la Sécu…
Il propose de :
- Imposer aux souscripteurs une franchise annuelle couvrant un forfait de dépenses de santé routinières qui seraient donc désormais à sa charge. C’est raisonnable, à condition que le montant de la franchise soit adapté au niveau de ressources du patient, sinon, d’un coup d’Enter sur un ordinateur anonyme, des millions de citoyens se retrouveront dans la même situation que les dizaines de millions de citoyens US qui ne peuvent même plus se payer la moindre assurance santé (C’est quand même beau, l’Amérique…)
- Augmenter la TVA (TVA sociale). Donc faire payer plus au consommateur. Le Parti Socialiste l’a aussi envisagé.
- Créer une CSG Santé complétant la CSG. Celle-ci, plus la CRDS, avaient déjà été créées pour fiscaliser le financement du déficit de la Sécu, donc reconnaissons qu’il n’invente rien. Donc faire payer plus au contribuable des classes moyennes par une augmentation de l’Impôt sur le Revenu. Ce n’est pas nouveau…
- Introduire la concurrence entre compagnies d’assurances pour la couverture des dépenses de santé à bas risque (ce qu’il appelle une logique plus assurantielle.) On n’a jamais vu la concurrence entre assureurs être plus efficace que la loi des grands nombres, la preuve en étant l’Allemagne ou trois concurrents dominants se battent pour gérer des couts de santé plus élevés qu’en France, mais passons puisque la concurrence fait partie du Credo.
- Rendre le dépistage et les soins préventifs assez lucratifs pour que les médecins soient motivés à les pratiquer. C’est du bon sens.
- Encourager les patients à respecter les protocoles médicaux prescrits par leurs médecins et à contacter un spécialiste que sur instructions de leur médecin. Bien sûr.
- Favoriser les soins á domicile avec monitoring par Internet pour désengorger les hôpitaux (médecine ambulatoire). Nous sommes d’accord. Aussi avec plusieurs propositions de ce genre relevant du bon sens, de la bonne gestion, et de l’accès aux possibilités de la technologie.
Par ailleurs, une proposition consiste tout simplement à ce que la totalité des charges sociales qui sont aujourd’hui supportés par l’employeur soient incorporées dans un salaire ultra brut, à charge alors pour l’employé de gérer la totalité de son revenu brut et de choisir son propre régime d’assurance complémentaire, et son assureur. Attention. Peu importe en effet la distinction byzantine entre charges payées soit par l’employé soit par l’employeur. Le cout pour l’entreprise reste le même. Mais il est essentiel que la contribution à la protection sociale de base soit obligatoire. Comme nous allons de plus en plus vers le CDD et le travailleur á son compte, et comme l’informatique donne des moyens formidables pour fusionner paiement en temps réel, saisie en comptabilité contradictoire (celle de la caisse versus celle du souscripteur), et envoi en temps réel du versement de la cote-part, cela sera de plus en plus facile. Autrement, condamner chaque travailleur à être assailli par des assureurs multiples chacun promettant la lune sans engager en rien la garantie souveraine qui doit être automatique et indiscutable, je suis témoin pour l’avoir vécu aux Etats Unis pendant 26 ans, c’est le condamner à l’enfer. Nous tournons le dos à l’esprit du CNR.
Une autre suggère de réduire les charges sociales supportées par l’entreprise en fiscalisant une plus grosse part des recettes de la Protection Sociale en général. Il est nécessaire en effet de libérer l’entreprise non seulement de ces charges mais aussi de tout impôt sur son Revenu et ses Marges, comme le propose le Comité Bastille. Nous convenons volontiers que l’entreprise française est la plus taxée d’Europe et nous l’avons écrit. Mais pas en faisant payer à sa place le citoyen lambda soit en tant que consommateur soit en tant que contribuable ! Si nous libérons ainsi l’entreprise pour qu’elle puisse enfin poursuivre sa mission créatrice de richesses tangibles et d’emplois, ce n’est pas pour que son actionnaire et les contribuables assez fortunés pour bénéficier de toutes les niches et boucliers fiscaux soient épargnés de leur juste contribution. C’est la taxation du patrimoine des personnes physiques qui doit financer de plus en plus la part fiscalisée de la protection sociale, et ceci par abolition progressive de l’Impôt sur le Revenu, de la Taxe Foncière et des Droits du Succession ! Et cette solution est complètement escamotée dans l’étude de l’Institut Montaigne. Le patrimoine par tête net de dettes des Français, légèrement inférieur à deux cent mille euros, est le cinquième du monde. Nous pouvons et devons libérer les créateurs de richesse (PME, classes moyennes, entrepreneurs, innovateurs…) et taxer d’abord le patrimoine dormant. Ce sont nos objectifs.
Si François Fillon ou tout autre candidat à la Présidence de la République veut – avec raison – proposer une réforme de l’assurance santé et même de l’ensemble de la protection sociale, et si l’Institut Montaigne veut loyalement l’y aider, il est encore temps de mettre au point un projet qui se fonde sur des faits observés et un benchmarking validé et non pas sur le dogme néolibéral; qui ne puisse même être soupçonné de favoriser la financiarisation mondiale et l’industrie financière d’abord; surtout quand il s’agit d’une protection sociale ou la France est plutôt en avance sur le monde, même si elle entre comme les autres dans des impasses économiques dont les causes sont mondiales et non pas françaises.
[ii] Pour la première fois en 2016 l’espérance de vie a chuté aux Etats Unis, voir http://www.ibtimes.com/us-life-expectancy-fell-01-2015-first-1993-cdc-data-shows-2457048
[iii] Dans tout pays développé, l’augmentation de l’espérance de vie, le progrès de la médecine, des assujettis dont la vie après la retraite dure de plus en plus longtemps – et c’est tant mieux – le vieillissement fatal de populations ou la natalité baisse, le tout combiné signifie un cout croissant des dépenses de santé. Mais la solution est connue : C’est l’euthanasie légalisée grâce à laquelle on pourra automatiquement mettre fin aux jours des plus âgés, isolés et démunis, la décision étant prise par un ordinateur à la même vitesse que le placement d’un ordre en bourse. Le programme de cet ordinateur pourra même ajuster automatiquement les critères d’euthanasie assistée sur les objectifs de cash-flow (EBITDA) et de ROI de l’industrie de l’assurance. Aucun dirigeant ne pourra être tenu responsable de chaque mort assistée puisqu’il n’y aura aucun lien entre lui et chaque décédé.
[iv] Il y apparait que pour les dépenses de santé par tête la France est seulement au 13e rang mondial alors que l’Allemagne est au 4e rang !
[v] Earnings Before Interests, Taxes, Depreciation & Amortization. Bénéfices avant intérêts, taxes & amortissements divers. Autrement dit cash-flow brut.
[vi] Rappelons que le Comité Bastille, étant apolitique, mais un fanatique du bon sens, de la bonne volonté et de la bonne foi, évite d’utiliser les mots en –isme, sachant qu’ils permettent avant tout s’introduire les malentendus, préjugés, procès d’intention et jugements a priori qui fondent les très grandes joutes oratoires telles que les médias les adorent. Mais nous cherchons avant tout les consensus concrets et constructifs menant à des projets réalisables, comme notre Projet TAN (Taxe sur l’Actif Net).