A la belle saison on compte mille abeilles par habitant en France. Mais ce chiffre diminue gravement.

La population française d’abeilles à la belle saison (car leur vie est courte…) est d’environ 65 milliards, en ne comptant que les espèces les plus courantes et les plus impliquées dans la production de miel grâce au savoir-faire d’une industrie: L’apiculture. 

Elles ont produit 35 000 tonnes de miel en 1992, seulement 15 000 en 2012 et plutôt 13 000 en 2016-17. Pour en savoir plus voyez Wikipedia et les sites spécialisés comme celui de l’Institut de l’Abeille, ITSAP. 

Je ne vais pas vous parler des dangers qui menacent nos abeilles car la littérature sur le sujet est abondante. 

Je veux simplement, à propos de cette industrie très spécialisée, vous parler d’un problème très mal connu de comptabilité nationale en me servant du sauvetage de ce sympathique et populaire insecte comme exemple. Ensuite vous trouverez des centaines d’autres exemples du problème, ce qui changera votre perception d’un sujet d’une importance vitale : L’économie, qui n’est pas une science, mais dont le langage est celui de nos gouvernants.

Sachez simplement que, si vous avez un jardin et désirez produire votre propre miel, il vous suffit d’inviter chez vous un apiculteur local, et de lui montrer votre jardin et le voisinage. Si son avis est favorable, il vous fera acheter au moins une ruche –  comptez 150 à 200 Euros – et signer un contrat par lequel il a l’exclusivité de la gestion de votre ruche, il est propriétaire de la production du miel qu’il se charge de venir extraire et revendre lui-même, il est responsable de la bonne gestion de l’ensemble dont la santé de vos abeilles, et il vous rétribuera en vous repassant de la main à la main quelques kilos de miel chaque année, sans facture bien entendu vu l’échelle très réduite de l’exploitation et le fait que vous êtes un modeste retraité et n’êtes pas établi comme exploitant agricole. Si la production augmentait, bien sûr il faudrait rentrer dans la légalité, mais on verra plus tard. 

L’apiculteur, lui, est un exploitant professionnel dont l’entreprise de statut quelconque paye des impôts et charges légales qui se déduisent donc de ses ventes brutes. Les objets de ces ventes consistent en des pots de miel hermétiquement fermés, étiquetés et conditionnés conformément à son accord avec ses distributeurs, le plus souvent des détaillants.

Question : Sachant que le patrimoine total de la France (l’addition de tous les actifs immobiliers, agricoles, industriels, financiers… possédés par l’Etat, les Collectivités, les entreprises de tous statuts et les particuliers dont vous et moi…) est de l’ordre de 13 000 milliards d’Euros, et que dans ce patrimoine il existe environ 40 000 exploitations apicoles possédant au moins une ruche, chacune disposant forcément d’un territoire de soutien ou les abeilles vont butiner, et sachant que la production française de miel est de l’ordre de 12 000 tonnes, combien valent tout l’ensemble (les insectes, les ruches, les outils et instruments de production et stockage, le terrain auquel elles ont accès…) de cette industrie dans l’absolu, et en fraction du patrimoine total ?

Réponses : Je vous donnerai quatre réponses, de quatre experts hautement crédibles :

  • Celle d’un analyste financier de Wall Street s’occupant de gestion de fortune à l’échelle mondiale ;
  • Celle d’un expert-comptable français qui a pour clients plusieurs apiculteurs et quelques-uns de leurs fournisseurs, donc connait le secteur ;
  • Celle d’un économiste du Ministère de l’Agriculture qui doit produire un rapport pour Bruxelles sur la question, en restant conforme aux règles d’évaluation généralement acceptées par les institutions compétentes, 
  • Et enfin celle du Comité Bastille, laquelle est bien sûr la seule bonne.

Mais la vôtre sera la bienvenue !

Wall Street répond rapidement (car la question ne mérite pas son temps) : Votre industrie produit au niveau prix de gros un chiffre d’affaires entre 50 et 100 millions d’euros de miel. Une misère… Le terrain qu’elle fait exploiter par ces insectes ne vaut quasiment rien : S’il valait quelque chose, au lieu d’être en friche, il ferait l’objet d’un développement agricole sérieux qui participe dignement au marché global de la chaine alimentaire. Si vous voulez un avis sur ce que pourrait être un tel développement, je peux vous mettre en contact avec notre excellent client Monsanto qui vous suggèrera le type de culture, vous fournira la semence toute traitée et génétiquement modifiée pour résister à toutes sortes de malheurs, les herbicides, pesticides et engrais appropriés et certifiés. Monsanto vous trouvera vos futurs clients, qui achèteront votre production au prix du marché mondial, vous rétribueront au tonnage produit au prix mondial de nouveau, vous présentera à des investisseurs cotés en bourse qui sauront sagement gérer les actions de votre société… Nous appelons cela la division internationale du travail : vous travaillez ici et les gains que votre travail a permis sont gérés et rapportent ailleurs, là où on comprend les, euh… marchés financiers ce qui vous laisse votre plein temps pour vous, euh… occuper de votre culture. En attendant, sans perdre plus de temps, je vous suggère de considérer la valeur de cette industrie comme nulle, car elle est négligeable soit positivement (en se fondant sur la production de miel et en multipliant ses profits par un multiple plutôt faible…), soit quasi-nulle (au vu de la valeur du terrain, qui est en friche sinon on ne l’abandonnerait pas aux insectes et mauvaises herbes), soit négative : Monsanto, m’a-t-on dit, considère en fait les abeilles comme des insectes nuisibles qui servent de prétexte, en Europe et autres pays arriérés, à des réglementations imbéciles freinant les ventes de leurs produits d’avenir libérateurs de l’humanité dits glyphosates et autres. Excusez-moi, j’ai un appel…

L’expert-comptable français : Un apiculteur bien géré peut vivre correctement de son exploitation s’il a la taille suffisante pour dépenser un minimum dans les salaires d’une équipe capable de conserver le savoir-faire et dans le soutien d’une marque dont la qualité est reconnue par un circuit spécialisé, en général l’alimentation bio. Sachez qu’un pot de miel de 400 grammes peut alors se vendre 15 euros au détail. Dans ce cas on peut trouver un repreneur de son affaire, forcément un autre apiculteur, qui trouvera un soutien bancaire pour acheter l’exploitation au prix généralement pratiqué d’un an de chiffre d’affaires. Evidemment il s’agit d’une affaire très bien gérée, et comme l’artisanat est un secteur tributaire de la santé de l’exploitant et généralement à risque pour d’autres raisons le financement sera plutôt cher. Pour une exploitation de cette qualité, vous en avez plusieurs qui ne valent rien, font à peine vivre leur propriétaire, et mourront avec lui. En faisant une moyenne, vous pouvez vous fonder sur une valeur pour toute l’industrie de 200 millions d’euros, plus la valeur du terrain en tant que terre agricole quand l’apiculteur en est propriétaire.  Disons 3 à 400 millions d’euros. Evidemment ce n’est pas grand-chose, mais que voulez-vous c’est une industrie artisanale et traditionnelle, sans avenir (la production française a été divisée par deux en vingt ans…), demandant beaucoup de travail qui est peu mécanisable.

L’économiste du Ministère : L’apiculture est un secteur hautement controversé et il est très difficile de répondre sans risquer de se faire foudroyer par un lobby ou un groupe de pression. L’apiculture est emblématique de la culture bio et profite de la bonne croissance de ce marché. Des experts disent que le miel contient des antioxydants (flavonoïdes), des sucres naturels à indice glycémique plus faible, des organismes probiotiques reconstituant la flore intestinale… Mais allez savoir la valeur de ces affirmations. Par contre, il est indéniable que les abeilles, parce qu’elles effectuent gratuitement la pollinisation des plantes donc des céréales, légumes et fruits que produit notre agriculture, contribuent pour environ dix pour cent de la valeur ajoutée totale d’environ les quatre cinquièmes de la production agricole, disent certains experts et ils m’ont convaincu. Bien sûr il ne s’agit que de la production végétale, hors élevage et pêche. Mais cela pourrait représenter pour la France de 2 à 4 milliards d’euros par an économisés. Je pense donc qu’on ne peut pas retenir l’évaluation purement comptable de la seule industrie apicole, de 400 millions. Je ne peux pas passer trop de temps sur cet exercice mais je crois qu’on reste prudent avec un chiffre de cinq fois l’économie annuelle, mettons 15 milliards, ce qui reste encore une poussière dans notre patrimoine. Mais encore faut-il voir comment vous allez utiliser ce chiffre, qui en comptabilité publique aujourd’hui n’a aucun intérêt puisque les règles mondiales généralement acceptées de comptabilité (Generally Accepted Accounting Principlesou GAAP) ne considèrent comme valeur d’un actif qu’un multiple d’un cash-flow – du PIB au niveau national – et ne considèrent pas la valeur des patrimoines consolidés, ou intégrés (immobilier plus agricole plus industriel plus financier…)

Les ouvriers qui participent gratuitement à générer 8 % de la valeur du secteur agricole.

Le Comité Bastille : La relation de l’humanité avec l’abeille fourmille de paradoxes passionnants.

Nous détruisons l’abeille au profit d’autres formes de vie alors qu’elle ne nous coûte rien, ne consomme rien, produit du sucre sans même consommer d’énergie (la production de sucre raffiné est fortement consommatrice d’énergie mais l’abeille produit la sienne propre), et fournit un service à la croissance végétale qui réduit le coût des fruits, céréales et légumes utiles d’environ 8% (10% multiplié par 80%), représentant quelques milliards par an en France. Mais la valeur d’une abeille est considérée plus en fonction du millième d’euro– €0,001 – de miel qu’elle produit dans l’année, qu’en fonction des cinq centimes d’euros– €0,05, cinquante fois plus – qu’elle contribue en même temps à la valeur ajoutée agricole.

Là où il y a des abeilles, il y a de la végétation accueillante : fleurs sauvages, lavande, aromates, organisée en bocages, en haies et en forêts ; et il y a d’autres insectes, des oiseaux qui les mangent, et dont les déchets fournissent un engrais nitraté gratuit. Supposons que vous êtes néerlandais du Groningue – c’est très au Nord – et voulez prendre votre retraite en France près du soleil. Achèterez-vous votre résidence de retraite dans la Beauce, là où il n’y a plus que des champs de blé ; à Sarcelles, où il n’y a plus que du béton ; ou bien en Provence, Aquitaine, Touraine, Cévennes et Languedoc ? Vous suivrez les abeilles, bien sûr ! Donc tant qu’elles sont encore là elles contribuent positivement au marché immobilier. Il est impossible de quantifier cette contribution, mais on doit la mentionner.

Voilà donc notre proposition pour une évaluation de l’état actuel et pour un scénario de revalorisation du patrimoine qui va sauver l’abeille, ainsi que tous ceux d’entre nous qui veulent participer à sauvegarder l’art de vivre qu’elle accompagne tout en faisant de bons investissements à très long terme. Elle est d’autant plus quantitativement sérieuse que son instrument comptable sera la production de miel elle-même, laquelle est concrète (je ne connais pas de miel virtuel) et connue avec précision.

Nous poserons comme hypothèse que chaque kilo de miel produit en plus correspond de façon a peu près proportionnelle à une certaine valeur ajoutée agricole que l’abeille a préservé tout en produisant ce miel. Et nous allons financer l’apiculture en reliant les deux données. Si nous augmentons notre production de miel de 12 000 à 25 000 tonnes/an (donc doublement) nous aurons augmenté la valeur du patrimoine français de quinze milliards d’euros. Et la Banque Publique d’Investissements (BPI) sera là, avec un fonds spécialisé, pour prêter à très long terme, nous suggérons 50 ans, à un taux d’environ 1,5% de plus que le taux de base de la BCE, jusqu’à 50 milliards sous forme de Fonds Permanents (fonds propres plus crédits bonifiés à très long terme) aux apiculteurs apportant un projet d’augmentation de leur production de miel.

Evidemment cela fait beaucoup d’argent mais il sera remboursé, pas seulement par les revenus du miel bien sûr, mais par ceux d’investissements adjacents dans toute activité symbiotique à la ruche. Un exemple parmi des milliers : allez visiter la ferme de Bernard Poujols à St Gilles (Gard). Elle intègre une rizière, des canards batifolant dans la rizière, et des ruches prises en pension en raison de la qualité de l’environnement. Comme cette entreprise n’utilise ni engrais (les crottes de canard sont là pour ça), ni pesticides (l’opérateur tue dans la graine juste éclose 90% des mauvaises herbes produites en irriguant volontairement trop tôt, et le restant nourrira les canards et les abeilles), l’exploitation produit du riz, des canards et du miel et est viable sans subventions PAC ou Bruxelles… auxquelles il n’a pas droit parce que son exploitation est hors normes (pour vous mettre aux normes, voyez Monsanto…)

Mais il y a un hic : Pour que notre scénario de sauvegarde du patrimoine fonctionne à grande échelle, il faut abolir l’impôt sur le revenu et adopter notre Projet d’impôt sur le patrimoine passif. Chaque exploitant se retrouvant endetté jusqu’au cou vis-à-vis de la BPI ne payera pas d’IPP avant longtemps ! Et il ne payera aucun impôt sur les revenus, tant les siens que ceux de l’exploitation, puisque tous ces impôts sont abolis.

Et il y a plus important : Ce scénario, généralisé à l’ensemble de l’immobilier, de la transition énergétique et de la conversion agricole, sera l’occasion d’introduire enfin une comptabilité nationale fondée sur la croissance de la valeur du patrimoine lui-même modulé par la croissance de l’espérance de vie, remplaçant la comptabilité fondée sur la croissance du PIB qui en est venue à menacer non seulement les abeilles, mais aussi le reste du règne vivant… 

C’est ce que nous étudions depuis 2014 au Comité Bastille. Nous vous tiendrons au courant et n’hésitez pas à nous contacter pour recevoir nos travaux en cours.

Auteur/autrice

  • André Teissier du Cros - AEQUITAE

    Ingénieur-Docteur SupMéca (1958-63). Depuis 1972 dirige un cabinet de stratégie de l’entreprise et dirigeant intérimaire de 3 entreprises aux USA et au Canada. Acteur de soixante rapprochements d’entreprises entre l’Amérique du Nord, l’Europe, le Japon, la Chine, l’Inde, le Moyen-Orient… ; Journaliste économique (1965-71). Ouvrages : Le Courage de Diriger (Robert Laffont, 1969), L’Innovation (Robert Laffont, 1971), Recherche d’Activités et Produits nouveaux (Prix IAE du Management, 1977) ; L’Innovation Malade de l’Impôt (Eyrolles-Ed. d’Organisation, 1980); traducteur-éditeur de The Fifth Rung on Jacob’s Ladder, (Jacques Caubet, Xulon Press, USA 2004). La France, le Bébé et l’Eau du Bain (L’Harmattan 2010). La Taxe sur l’Actif Net ou Impôt Progressif sur le Patrimoine Dormant (L’Harmattan 2016) et nombreux articles et conférences ; Rapporteur du comité ‘Innovation industrielle’ dans la Commission CNPF pour le Développement Industriel, présidée par François Dalle, (1979-81), dont le rapport avait été demandé par Raymond Barre, alors Premier Ministre ; Rapporteur, Commission Nationale pour l’Innovation nommée par G. Pompidou (Commission Barthalon, 1967-71) ; Président (1988-2001) d’une section USA des Conseillers du Commerce Extérieur de la France ; Président Commission Marketing, puis Président, de l’Alliance Française d’Atlanta (2004-2009) ; Président-fondateur du Comité Bastille en 2006 ; Enseignant Georgia Institute of Technology Evaluation Compétitivité Stratégique des Industries Manufacturières (1994-2001) ; Pilote privé FAA (ASEL-IFR) ; Membre (fauteuil 26) de l’Académie des Hauts Cantons

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